Quand l'idéologie envahit la science du cerveau

Catherine VIDAL Neurobiologiste,
Directrice de Recherche à l'Institut Pasteur

En mars 2000 paraissait dans la revue "Nature" un article consacré à l'homosexualité féminine.
Jusqu'alors seule l'homosexualité masculine avait été à l'honneur avec le fameux "gène" de l'homosexualité, (En 1993, Dean Hamer décrivait dans la revue Science un fragment du chromosome X associé à l'orientation homosexuelle chez l'homme. Depuis, la réalité de ce "gène" a été clairement invalidée (Rice et al., 1999). Néanmoins le succès médiatique du gène de l'homosexualité a été tel qu'il est toujours présent dans l'esprit du grand public.)
Donc nous pouvons lire en mars 2000 qu'une analyse statistique sur 720 sujets testés à la sortie d'un concert à San Francisco montre que chez les femmes hétérosexuelles, l'index et l'annulaire sont de longueurs équivalentes. Par contre, chez les femmes homosexuelles la longueur de l'index est inférieure à celle de l'annulaire, tout comme chez les hommes hétérosexuels. Or, chez ces derniers, la longueur relative des doigts serait déterminée pendant la vie foetale, probablement sous l'effet des hormones mâles (androgènes) d'après les auteurs de l'étude. Ceux-ci n'hésitent pas à conclure que l'homosexualité féminine serait due à l'exposition prénatale aux androgènes.
On notera en particulier que les différences de longueur des doigts selon le sexe s'observent sur la main droite mais pas sur la main gauche... Comment alors expliquer que les androgènes circulant dans le sang aient une action à ce point sélective sur la main droite ?
Ces interprétations manifestement abusives des auteurs n'ont pas empêché la publication de leur article dans "Nature", revue pourtant réputée pour ses critères hautement sélectifs dans le choix des articles qui lui sont soumis.
On se croirait revenu au siècle dernier, du temps de l'anthropologie criminelle de Cesare Lombroso (1887). Celui-ci prétendait pouvoir identifier les prostituées à leurs pieds : elles avaient soi-disant le gros orteil séparé des autres doigts, tout comme les pieds préhensiles des singes, signe morphologique de régression évolutive de cette catégorie de femmes indésirables dans la société.

[...]